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La Cour des comptes enterre la vidéosurveillance
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Le rapport de la Cour des comptes sur le coût, et l’efficacité, de la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy déployée depuis l’adoption de sa loi d’orientation et de programmation (LOPSI) de 2002, révèle qu’il y a trois fois moins de caméras que ce qu’avait déclaré le ministère de l’Intérieur, et que les préfets, chargés d’encadrer la vidéosurveillance, mais également de tripler le nombre de caméras, se retrouvent donc à délivrer des autorisations à des systèmes de vidéoprotection... en infraction avec la loi...
Le rapport de la Cour des comptes sur le coût, et l’efficacité, de la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy déployée depuis l’adoption de sa loi d’orientation et de programmation (LOPSI) de 2002, révèle qu’il y a trois fois moins de caméras que ce qu’avait déclaré le ministère de l’Intérieur, et que les préfets, chargés d’encadrer la vidéosurveillance, mais également de tripler le nombre de caméras, se retrouvent donc à délivrer des autorisations à des systèmes de vidéoprotection... en infraction avec la loi.
Dès lors, on comprend mieux la colère, pour ne pas dire la panique, qui a gagné Claude Guéant et 70 députés UMP, de la Droite populaire et du Nouveau Centre, le jour de sa publication : il était hors de question que les articles de presse se contentent de ne donner que le seul point de vue des magistrats de la Cour des comptes. Il fallait que les journalistes instillent le doute, en rapportant les propos de Guéant, dénonçant "un nombre important d’inexactitudes, d’erreurs d’analyse, d’oublis et d’appréciations manquant parfois d’objectivité".
Or, et comme l’ont très bien résumé Laurent Mucchielli & Christian Mouhanna, chercheurs spécialistes des questions de justice et de police, dans un article intitulé Où est le problème ?, la polémique risque surtout de "ridiculiser le gouvernement, pour au moins trois raisons :
1) Ce rapport n’a rien de révolutionnaire dans son contenu, il entérine les constats que les professionnels et les chercheurs font depuis plusieurs années.
2) Le rapport est d’autant moins critiquable par le gouvernement qu’il se fonde exclusivement sur des données fournies par les préfectures, les services de police et de gendarmerie et le ministère de l’Intérieur lui-même.
3) La réaction de Claude Guéant et des dirigeants de l’UMP est purement politicienne, tentative de diversion qui ne trompe personne et qui peut être très facilement réfutée.
Les caméras ne servent à rien, ou presque
Plus ça rate, plus on a de chances que ça marche La Cour des comptes confirme ainsi l’analyse que j’avais, avec d’autres chercheurs spécialistes de la question, fait du rapport du ministère de l’Intérieur réalisé, en 2009, afin de démontrer l’efficacité de la vidéosurveillance (voir Un rapport prouve l’inefficacité de la vidéosurveillance).
Déplorant ses "résultats contradictoires ainsi que sa méthode (qui) ne permettent pas d’en tirer des enseignements fiables", les magistrats n’en relèvent pas moins que, et paradoxalement, ce rapport démontrait surtout que l’effet des caméras est, au mieux "faible", voire "marginal", quand il n’est pas inexistant, sinon contre-productif :
Le taux d’élucidation des faits de délinquance de proximité n’a pas davantage progressé dans les circonscriptions de sécurité publique (CSP) équipées de caméras de vidéosurveillance de la voie publique que dans celles qui ne le sont pas.
Pour les faits de délinquance pris globalement, il s’est même davantage amélioré dans les CSP non vidéosurveillées.
Malgré un usage désormais plus répandu, la proportion des faits de délinquance élucidés grâce à la vidéosurveillance de la voie publique est relativement faible. Dans les quinze CSP qui ont pu fournir des éléments pour l’année 2008, le rapport d’enquête en comptabilise 749, soit environ 3% de l’ensemble des faits élucidés.
En outre, l’analyse des situations locales montre que, si le nombre de réquisitions d’images enregistrées a fortement augmenté, il reste marginal par rapport au nombre de faits élucidés.
La vidéosurveillance coûte 600M€, par an ; à quand le retour sur investissement ?
Alors que les premières caméras ont été installées, à Levallois-Perret, en 1991, et que le développement de la "vidéoprotection" a un coût, estimé par la Cour des comptes à 300M€ pour l’État, plus 300M€ pour les collectivités, soit 600M€, par an, les magistrats déplorent que, 20 ans après, "aucune étude d’impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n’a encore été publiée", afin d’en mesurer l’efficacité, et donc la pertinence.
Les magistrats déplorent, de même, le "faible intérêt des collectivités locales pour l’évaluation : seulement 30 % des dispositifs financés par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD -dont 60% du budget va au développement de la vidéosurveillance -NDLR) en 2009" ont initié une démarche d’évaluation… "le plus souvent en interne".
Dit autrement : l’État subventionne la vidéosurveillance à hauteur de 300M€/an, et les collectivités à hauteur, elles aussi, de 300M€/an, sans prendre la peine de vérifier qu’il s’agit d’un bon investissement. Et 70% des municipalités qui décident de vidéosurveiller leurs cités ne cherchent même pas à vérifier que cela sert à quelque chose... ou pas.
Evoquant le cas de Lyon, qui "mesure chaque année l’évolution comparée de la délinquance de voie publique dans les zones vidéosurveillées et dans celles qui ne le sont pas", les magistrats notent ainsi que le résultat n’est guère brillant : "de 2005 à 2008, la différence d’évolution a été faible puisque la délinquance de voie publique a baissé de 23,5 % dans les premières et 21,9 % dans les secondes", alors même que "la délinquance de proximité a diminué de 48 % à Villeurbanne, dépourvue de vidéosurveillance, soit plus rapidement qu’à Lyon (- 33 %)"...
Ils s’étonnent également de l’absence d’évaluation des 624 caméras de Nice (soit 1 pour 500 habitants), tout en soulignant que, "de l’avis des services de l’État", la baisse de la délinquance (-32%) serait également imputable à "la présence d’une police municipale très active et largement dimensionnée". Et, comme à Lyon, ils constatent que "dans certaines communes des Bouches-du-Rhône dépourvues de vidéosurveillance de voie publique, la délinquance de proximité a baissé autant qu’à Nice : Aubagne (- 31 %), Arles (- 28 %)"...
Revenant sur les diverses études réalisées à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie, la Cour des comptes rappellent que si "certaines ont fait apparaître que les résultats sont plus encourageants dans des espaces clos (parkings) avec un nombre limité d’accès, d’autres ont montré que la vidéosurveillance peut être efficace pour repérer les délits violents (atteintes à la personne) mais inopérante pour prévenir la commission de ces délits", mais que, et en tout état ce cause :
Ces études ont, dans l’ensemble, conclu à l’absence d’impact statistiquement significatif de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance.
Pressés de tripler le nombre de caméras, les préfets autorisent des dispositifs en infraction avec la loi
Quand on ne sait pas où l’on va, il faut y allerSi le rapport confirme donc l’inefficacité de la vidéosurveillance, ce que les spécialistes de la question sont de plus en plus nombreux à constater, il contient tout de même une révélation, que les professionnels et chercheurs spécialistes de la question n’avaient jusque là jamais réussi à démontrer : de nombreuses systèmes de "vidéoprotection" ont été autorisés... en violation de la loi.
La Cour des comptes évoque ainsi des installations ayant fait l’objet d’autorisations d’une "régularité contestable", qui "ne sont pas toujours conformes aux textes en vigueur", parce qu’"en infraction au code général des collectivités territoriales et à l’article 10 de la loi du 21 janvier 1995, votée à l’initiative de Charles Pasqua afin, notamment, de légaliser l’utilisation de la vidéosurveillance... et d’en retirer le contrôle à la CNIL.
Cette Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité (LOPSI) a depuis servi de prémices, et de modèle, aux deux LOPSI adoptées depuis à l’initiative de Nicolas Sarkozy en 2002 et 2011, et qui ont entraîné l’adoption de pas moins de 42 lois sécuritaires depuis 2002, ainsi que la création de 44 des 70 fichiers policiers recensés en France (+169% depuis 2002)...
Au final, le résultat n’est guère brillant. Seuls les fonctionnaires de police (nationale ou municipale) ou de gendarmerie sont en effet habilités à accomplir des missions de surveillance de la voie publique. Or, de nombreux préfets, à en croire les magistrats de la Cour des comptes, autoriseraient de simples employés communaux, pas ou peu formés, ni assermentés, ni agréés, voire des entreprises privées, à surveiller les écrans de contrôle.
Et s’ils le font, c’est que les commissions préfectorales chargées d’instruire les dossiers n’ont ni les moyens, ni le temps, de faire autre chose que de "s’assurer que le formulaire de demande (d’autorisation) est correctement rempli", et que leurs avis, même négatifs, ne sont que consultatifs…
A l’opposé, les préfets, seuls habilités à autoriser les systèmes de vidéosurveillance, sont surtout juges et partie : "chargés de promouvoir les avantages de la vidéosurveillance (et) de mettre en œuvre un « plan départemental de développement de la vidéoprotection » dans les sites les plus sensibles", le ministère de l’Intérieur leur martèle, chaque année, qu’il leur faut parvenir à tripler le nombre de caméras, quitte à en installer là où... la délinquance baisse :
Les préfets accordent des autorisations d’installation de caméras de surveillance de la voie publique dans des quartiers où la délinquance baisse ou dans des communes où son niveau est faible.
La religion du chiffre, et la culture du résultat, permettent ainsi à des préfets d’autoriser un petit village comme celui de Baudinard, dans le Haut-Var, 146 habitants, dont 51 intra-muros, à s’équiper de douze caméras disposées dans la rue municipale, devant l’église, le cimetière, au belvédère ou sur les courts de tennis... ce qui lui avait d’ailleurs valu d’être nominé aux Big Brother Awards.
Shadocks
Enfin, et alors qu’en 2009, Nicolas Sarkozy avait fixé l’objectif de tripler le nombre de caméras de vidéosurveillance de la voie publique en le portant de 20 000 en 2008 à 60 000 caméras à l’horizon 2011, objectif ensuite reporté en
2012, la Cour des comptes déplore une "connaissance approximative du nombre de
caméras" :
L’enquête de la Cour, effectuée à partir des données rassemblées par la DCSP, la préfecture de police de Paris et la DGGN, a conduit à une estimation d’environ 10 000 caméras de surveillance de la voie publique à la fin de 2010. S’y ajoutent environ 5 000 caméras installées sur des bâtiments communaux.
Le Canard Enchaîné du 13 juillet dernier rapporte que, prenant connaissance du rapport de la Cour des comptes, Nicolas Sarkozy aurait piqué une grosse colère, lançant l’offensive médiatique menée par Claude Guéant et les députés de la majorité :
Il ne faut pas se laisser faire ! Il ne faut pas laisser s’instiller l’idée que mon bilan est nul. Parce que entre moi et la gauche (sic) il n’y a pas photo, sur la sécurité.
Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes (nommé par Nicolas Sarkozy) a depuis balayé les accusations de partialité : "on ne peut contester les constats que nous faisons. Le rapport est exact, objectif et fruit de la collégialité et s’appuyant sur la contradiction", reposant notamment sur le "travail en équipe" d’une centaine de personnes, "garant de l’impartialité" de ses conclusions.
De plus, le processus même d’élaboration contradictoire du rapport, comme le rappelle le Monde, est lui aussi garant de son impartialité. Last but not least, le rapport avait été commandé par... Philippe Seguin.
A qui profitent les "petits bras" des caméras ?
On attend donc avec impatience la réaction d’Alain Bauer, ancien professionnel de la vidéosurveillance et l’un des principaux théoriciens français de la notion d’insécurité, promu conseiller sécurité de Nicolas Sarkozy, mais aussi président de l’Observatoire de la délinquance -qui fournit les statistiques au ministère de l’Intérieur, et qui a contribué au rapport de la Cour des comptes-, mais aussi de la Commission nationale de la vidéosurveillance...
Interrogé, sur France Inter, en juillet 2010, il avait lui-même reconnu que les caméras ne servaient généralement pas à grand chose :
De très nombreuses études sur la vidéoprotection, essentiellement anglo-saxonnes, montrent que dans les espaces fermés et clairement identifiés c’est très efficace, mais que plus c’est ouvert et moins on sait à quoi servent les caméras, moins c’est efficace, pour une raison simple, c’est qu’elles descendent rarement des poteaux avec leurs petits bras musclés pour arrêter les voleurs : la caméra c’est un outil, c’est pas une solution en tant que tel…
On attend donc aussi avec impatience de voir des conseils municipaux mener de véritables discussions, basées sur les éléments rassemblés par les spécialistes de la question, et donc ce rapport de la Cour des comptes, plutôt que sur des présupposés idéologiques sécuritaires. Mais, à n’en pas douter, ce rapport de la Cour des comptes signe le glas de la vidéosurveillance à tout va. Et l’on verra très certainement bientôt des municipalités décider de mettre un terme à cette gabegie financière.
Les partisans de la vidéosurveillance trouveront toujours des faits divers pour démontrer l’efficacité des caméras. Mais c’est bien connu : les faits divers, ça fait diversion... la preuve : le rapport du ministère de l’Intérieur censé démontrer l’efficacité de la vidéoprotection des caméras installées sur la voie publique dressait une liste de 18 "faits marquants d’élucidation, grâce à la vidéoprotection" ; mais seuls 3 d’entre eux relevaient de caméras installées sur la voie publique et contrôlées par la police, la gendarmerie ou une municipalité : tous les autres concernaient des caméras installés dans des hôtels, bureaux de tabac, supermarchés, etc. On y trouvait même… la vidéo d’un mariage.
Il faut mettre un terme à la société de surveillance
Il y a deux ans, j’écrivais que la surveillance, ça sert à acheter des voix : cela fait des années maintenant que je m’intéresse à la vidéosurveillance, et j’en suis arrivé à la conclusion qu’en terme d’efficacité, la vidéosurveillance sert moins à identifier ou interpeller criminels & délinquants qu’à faciliter l’élection (ou la réélection) de celui ou celle qui a promu l’installation de caméras.
Car si la vidéosurveillance rassure les électeurs, les caméras installées sur la voie publique ne changent par contre que très marginalement le taux de délinquance, tout comme le taux d’élucidation des crimes et délits. La question reste donc de savoir jusqu’à quand nos impôts seront investis, à hauteur de 600M€/an, dans des dispositifs qui ne servent, grosso modo, à rien, sinon à (ré)élire celui ou celle qui les a installé, et donc à déplacer le problème de la lutte contre la délinquance sur le terrain des mesures sécuritaires, et donc à surveiller et punir, plutôt que prévenir et guérir.
Reste, enfin, à expliquer aux maires, élus et responsables socialistes, communistes & autres politiques a priori opposés à la politique sécuritaire incarnée par Nicolas Sarkozy, mais qui ont été séduits par la vidéosurveillance, qu’il serait bon qu’ils protègent leurs concitoyens autrement qu’avec des caméras de vidéosurveillance... Espérons que ce rapport de la Cour des comptes y contribuera.
L’an passé, la coalition de centre-droit qui a pris le pouvoir au Royaume-Uni a été élue avec un programme qui promettait de mettre un terme à la société de surveillance et, notamment, d’abroger certaines lois sécuritaires, de retirer les innocents du fichier ADN, d’abandonner le projet de carte d’identité, et d’encadrer plus sévèrement la vidéosurveillance, quitte à retirer des caméras, avec un argument tranchant que nous ferions bien de méditer :
Il est scandaleux que les gens respectueux des lois soient régulièrement traitées comme si elles avaient quelque chose à cacher.
comments h
Merci pour ces bons conseils, à bientôt je le souhaite vivement. :-)
Maïssane
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